warner bross company.

- lenny? tu me fais chier mon vieux. un sourire hypocrite sur mes lèvres vermeilles. Lenny, cet imbécile n'avait pas de quoi être fier. Bristol s'étalait par la petite fenêtre de notre minuscule studio. Je n'aurais plus su dire comment je m'étais retrouvé à vivre avec lui, il m'insupportait pourtant au point que j'ai souvent envisagé le fait de le pousser par la fenêtre et de faire passer ça pour un accident. Son sang plein à craquer d'héroine aurait suffit à créditer ma thèse. - ta gueule la rousse. son visage fin aux yeux étincelants s'était tordu dans un rictus moqueur. C'était comme ça entre nous, et ça faisait bien longtemps que ses soit disant insultes me passaient au dessus de la tête. Je crois que dans le fond, la présence de Lenny était devenue un rituel, une sorte d'habitude rassurante et encombrante. Un vieux fantôme dans un placard; un passé encombrant. - prête babe? sa caméra tournée vers moi. - ouais ouais, vas y. envoie, qu'on en finisse. sa caméra braquée sur moi. Il filmait pour son plaisir, c'était notre deal. Il filmait pour un concours biographique et comble de malchance, il avait choisi ma vie à moi, Jimmy Warner-Heinz. Je ne faisais pas ça de mon plein gré, ni même par envie. La cocaïne dans mes sinus y était sûrement pour beaucoup. - ma mère est une hippie. une sale féministe à la con qui m'a donné un nom de mec et un trait d'union et qui s'est cassé élever des chèvres en australie avec ses copines cinglées quand j'avais cinq ans. mon père est le plus gros enfoiré de cette putain de ville. plus camé que toi. j'avais six ans que je stérilisais ses seringues pour pas qu'il chope un sal truc. j'avais sept ans et demi quand il est mort d'une overdose dans les bras d'une de ses putains. la cocaïne dans mon sang, la cocaïne déliant ma langue de vipère. Ma langue habituellement si souple pour lester du mal sur les autres mais si pauvre quand il s'agissait de parler de moi. - et puis? essaye pas de me faire croire que t'es restée toute seule, warner. un sourire vicieux s'étira sur mon visage, éclairant mes yeux magiques de cette étincelle propre à effrayer les plus naïfs. Lenny ne l'avait que trop souvent vue pour encore s'en formaliser. - et toi essaye pas de me faire croire que t'es doué pour l'humeur, mckinsky. je suis partie chez un lointain cousin à mon père. au japon. un boss de la pègre underground. les yakusa et tout, tu vois le tableau. ouais, un homme bien. violent, ça ouais. mais jamais avec moi. mes yeux ne brillaient plus de malice, ils étaient éteints, comme étrangement absents. En fait, je n'étais même plus sûre d'être vraiment présente dans la pièce avec Lenny. J'étais repartie. Repartie pour Tokyo où s'étaient déroulées les plus belles années de ma vie. Evidemment, ça n'avait rien eu de facile. J'étais la nièce très lointaine de Domo Hanaki, un des patrons les plus influents de la pègre japonaise. Sabres, Yakusa, karaté et entrainements au maniement de l'arme blanche avaient fait ma jeunesse, à mon plus grand bonheur. Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi Domo avait contacté les services sociaux de Bristol à l'annonce de la mort de mon drogué de père, ni même pourquoi il avait remué ciel et terre pour venir chercher une gamine de sept ans et demi qu'il n'avait jamais vu de sa vie. Je suis intimement persuadée que c'était un homme bon... qu'il ne fallait pas se mettre à dos. Je n'ai jamais eu à me plaindre de lui. Il m'a offert tout ce dont je désirais, m'a élevée comme il aurait élevé sa propre fille et n'a jamais fait mine de lever la main sur moi, d'ailleurs je l'ai toujours soupçonné d'avoir éliminé lesdites mains s'étant posées un jour sur moi, mes copains de l'époque n'étant jamais en circulation plus de quelques jours, avant de disparaitre comme par magie. Ce n'était pas un problème. J'étais jolie, et mon lien de parenté - aussi peu évident soit t'il à remarquer quand on nous voyait côte à côte - avec Domo Hanaki avait suffit à faire de moi un des meilleurs partis de Tokyo. Un parti qui valait bien une main ou deux en moins, non? Mes souvenirs affluaient par dizaines, des anecdotes secrètes que jamais je ne livrerais devant une caméra, aussi stone puis-je être. - tu te paies ma gueule, c'est ça? tu penses que je suis assez défoncé pour croire une chose pareille. - crois le si tu veux, le déchet. j'allumais une cigarette à l'aide d'une allumette - la craquait et la soufflait avant de la balancer négligemment sur le sol au lino épuisé - en tirait quelques taffes, mon regard dramatique fixé sur Lenny qui visiblement ne savait plus où se mettre. Pauvre petite chose sans défenses. Je me levais, laissait tomber ma cigarette à peine entamée à terre et l'écrasait de mon pied. Je m'en foutais. Mon corps svelte et élancé avançait sans presque faire de bruit dans le vieux studio. Je m'approchais de Lenny, le repoussant sur le lit. J'avais plus de force que je n'en avais l'air, et il venait apparemment de se rendre compte de la vitalité et de la résistance de ma silhouette fragile. Je posais mes lèvres sur les siennes dans un mouvement de malice. J'avais vingt ans et j'offrais à Lenny son cadeau d'adieu: mon corps.